Si l’on en croit le lieu commun, le terrorisme ne serait qu’une affaire d’hommes, jamais une femme ne pouvant avoir à l’idée de commettre un attentat. L’histoire contemporaine démontre toutefois autre chose, de Joëlle Aubron et Nathalie Ménigon, membres du groupe Action Directe dans les années 80, aux auteures d’attaques-suicide à la bombe en Irak depuis 2003 et en Syrie dans le cadre du conflit armé en cours.

Si elles n’ont pas pris part directement à leurs attaques, le rôle joué par Hayat Boumediene et Hasna Aït Boulahcen, respectivement compagne d’Amedy Coulibaly et cousine d’Abdelhamid Abaaoud, dans les forfaits des deux hommes ne fait pas mystère. La Belgo-Marocaine Malika El Aroud, surnommée la «veuve noire», égérie jihadiste «mariée» à Molenbeek-Saint-Jean (Belgique) par le prédicateur radical franco-syrien Bassam Ayachi à Abdessatar Dahmane, plus connu sous le nom d’Abou Obeyda, était présente et active lorsque son «époux» a assassiné le 9 septembre 2001 en Afghanistan Ahmed Shah Massoud, le leader charismatique de la résistance à la milice islamiste des Talibans alors au pouvoir à Kaboul. En secondes noces, elle épousera le non moins célèbre recruteur belgo-tunisien d’Al Qaïda Moez Gharsallaoui, qui croisera au Pakistan le chemin d’un jeune Franco-Algérien radicalisé en France – Mohamed Merah.

Croire les femmes immunes au terrorisme relève donc bien du pur cliché. Il semble pourtant que le phénomène jihadiste actuel révèle un rapport des femmes au terrorisme inédit à ce jour.

Face au jihadisme, il n’y a pas d’égalité des sexes

Bien entendu, le terrorisme jihadiste reste très largement une affaire d’hommes, rares sont les femmes présentes en première ligne sur les lieux des attentats. En l’espèce, c’est un choix propre à Daesh, qui relègue les femmes au second rang comme il le fait dans la zone qu’il contrôle en Irak et en Syrie ; cloitrées sous le voile, elles deviennent esclaves sexuelles ou épouses plus ou moins forcées des combattants, mourir en shahid (martyr) demeurant réservé aux hommes, censés ainsi gagner le paradis et y trouver soixante-dix vierges.

Et souvent, ici en Europe, si elles franchissent le pas, c’est au départ parce qu’un lien affectif existe avec un homme qui se trouve être un terroriste. S’agissant de Hayat Boumediene et Hasna Aït Boulahcen, les deux terroristes auxquels elles ont prêté leur concours ont su jouer sur leurs sentiments, ils ont su les utiliser parce qu’elles étaient des femmes. Dans l’ombre certes, reléguées dans les coulisses, mais non moins déterminées à ne pas jouer les seconds violons, encore moins à apparaître comme des victimes.

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Hayat Boumediene, la compagne d’Amedy Coulibaly qui devint sa redoutable complice dans le terrible attentat terroriste de l’Hyper Cacher le 9 janvier 2015. (Photo : bannedbook.org)

C’est ce que relève le journaliste Matthieu Suc dans son ouvrage Femmes de djihadistes (Fayard) ; pour les magistrats«comme pour la population occidentale en général, une femme musulmane ne pouvait pas verser dans l’intégrisme (…) Les femmes ne sortaient pas de leur rôle de soutien de leur mari dans la sphère privée».

Pendant de trop longues années, les magistrats de la Galerie Saint-Eloi accordaient ainsi un«biais de genre» aux femmes dans les affaires de terrorisme, tant et si bien que très peu de dossiers de femmes mises en cause en lien avec une entreprise terroriste étaient judiciarisés. Par la force des choses, l’institution a dû opérer une prise de conscience et cette ultime frontière tombe, comme l’a rappelé François Molins, le Procureur de la République de Paris, récemment dans Le Monde.

Double peine

Quoi qu’il en soit, ce sort terrible fait aux femmes révèle un trait des plus inquiétants du jihadisme : sa maîtrise de la manipulation mentale.

Les agents de Daesh en France et en Belgique, d’où venaient les terroristes du 13 novembre à Paris, ont un talent infini pour la manipulation des hommes comme des femmes. C’est le cas de Fabien Clain, qui radicalisait déjà des jeunes dans les années 2000 pour le jihad en Irak et qui a revendiqué pour Daesh les attentats du 13 novembre.

La puissance de cette manipulation, s’agissant d’une jeune femme que son milieu d’origine et/ou son cadre social de vie, défavorable et générateur de pressions, auront rendue vulnérable, est multipliée par dix ou par cent. Elles sont sous emprise, prêtes à tout, même au pire. C’est leur double peine : si les terroristes parviennent à ce point à les faire souffrir de leur influence, c’est bien, je le réaffirme, parce qu’elles sont des femmes et qu’elles auront été exposées en tant que telles au sexisme ambiant.

Cette «double peine», je ne la vois pas seulement chez les femmes qui ont aidé des jihadistes. De l’autre côté de la terreur, celui des victimes qui constituent l’essentiel de ma clientèle en la matière, je retrouve aussi cette souffrance propre aux femmes, en l’occurrence aux mères.

C’est le cas de ma cliente Nadine Ribet-Reinhart, sœur de mon confrère parisien Jean Reinhart et dont le fils, Valentin Ribet, qui avait prêté le serment d’avocat un an à peine auparavant, a trouvé la mort au Bataclan. Cette famille franco-américaine, descendante d’un héros de l’indépendantisme irlandais, fait front commun sans faille, l’époux de Nadine Ribet-Reinhart, Olivier, ne ménageant aucun effort pour que la vérité soit faite sur la mort de son fils.

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Avec ma cliente Nadine Ribet-Reinhart (g.) – Capture d’écran du 1945 de M6, 23/05/2015

Force est de constater, pourtant, que la réaction de chacun des parents face au jihadisme, que ce soit dans la famille Ribet-Reinhart ou dans toute autre, ne présente aucune symétrie d’un genre à l’autre.

Il ne peut y avoir de hiérarchie entre la douleur des deux parents d’une victime selon leur sexe. Toutefois, dans bien des cas, la détresse vécue par les mères est tellement intense qu’elle se transforme en elles en une énergie de combat. Le meilleur exemple en est, si ce n’est Nadine Ribet-Reinhart, Latifa Ibn Ziaten, mère du premier soldat tué par Mohamed Merah qui, à travers son association, va à la rencontre des jeunes et des détenus partout où frappe l’endoctrinement qui mène au terrorisme.

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Latifa Ibn Ziaten à Montpellier le 7 avril 2013 (C) Fouzia Abdellaoui

L’énergie ne vient pourtant pas à toutes. Certaines mères se retrouvent victimes du jihadisme non parce que leur enfant a été tué, mais parce que celui-ci, au contraire, est parti pour tuer. En 2015, j’ai eu à défendre la mère d’un jeune méridional qui s’est envolé en 2013 pour la Turquie d’où il a rejoint, en Syrie, le groupe Jabhat al-Nosra, filiale locale d’Al-Qaïda qu’allait bientôt supplanter Daesh. (Le groupe a récemment abjuré son allégeance et s’est rebaptisé Fatah al-Sham.)

Radicalisé dans sa chambre par Internet, le mineur n’avait rien laissé transparaître, et alors même que sa mère, qui se méfiait quand même, lui avait confisqué son passeport, il a suffi d’une carte d’identité pour que les douaniers de l’aéroport le laissent embarquer. Ce n’était pas illégal à l’époque, car l’obligation d’une autorisation écrite de sortie du territoire pour les mineurs avait été abrogée l’année précédente. Mais à l’époque, il n’est pas venu à l’esprit des policiers de l’aéroport de se méfier d’un jeune mineur partant sans accompagnant majeur et sans passeport en Turquie.

C’est ce qui avait amené ma cliente à assigner l’Etat en responsabilité devant le Tribunal administratif de Paris. Sans succès. Ce fut néanmoins, sur un autre plan, une victoire. J’avais sensibilisé sur ce fondement des parlementaires, tant UMP à l’époque que socialistes, au besoin impérieux de rétablir l’autorisation de sortie du territoire. C’est ce qu’a fait une loi promulguée le 8 octobre 2015. Cela permettra d’empêcher davantage de jeunes de partir.

Une force

Même lorsque, comme cette cliente, elles n’obtiennent pas gain de cause, les mères et en règle générale les femmes qui se dressent contre le jihadisme mènent un combat indispensable à la société d’aujourd’hui.

Comment ne pas mentionner ici ma cliente Léa dont l’ancien compagnon, devenu radicalisé et dont toute la famille est partie en Syrie, où sont morts deux de ses frères tandis que l’autre est sous les verrous ici en France pour des faits de terrorisme ? Ayant obtenu du juge un droit de visite, le père de son fils dont elle est séparée a annoncé son intention de partir en Syrie ; autant dire que chaque instant qu’on l’autorise à passer avec son enfant constitue une menace de le voir partir avec lui sans retour vers l’enfer jihadiste.

Ma cliente a saisi à travers moi le Ministère de l’Intérieur pour empêcher le pire. Je serai jusqu’au bout à ses côtés dans sa lutte pour préserver son enfant du jihadisme.

Avec ce terrorisme moderne, on ne parle pas d’un phénomène comme l’a été en son temps Action Directe, même si l’un de ses anciens membres s’est permis une indécente apologie des crimes des terroristes du 13 novembre. Je m’étais empressée de demander contre lui l’action publique, à travers des poursuites pénales, et il a été récemment condamné pour ses propos inacceptables.

Comme le fait Daesh dans son ‘califat’, le terrorisme qui frappe aujourd’hui la France méprise les femmes, il nie purement et simplement leur identité. Soutenir celles qui luttent, qui contre-attaquent, est donc indispensable pour combattre ce terrorisme. Tous mes dossiers actuels me le prouvent : contre le terrorisme, les femmes sont une force.

Je suis avocate et femme

Quant à moi, si je suis avant tout avocat, je n’oublie jamais être originaire d’un pays qui a, même avant la France, payé le prix du terrorisme, avec l’assassinat notamment de Chokri Belaïd, avocat lui aussi. Et où les femmes ont dû payer chèrement le maintien de leurs droits – mes droits en tant que Tunisienne, acquis grâce au «combattant suprême», Habib Bourguiba, père de la nation tunisienne. Les deux luttes étaient indissociables, de même qu’aujourd’hui en Europe, soutenir les femmes est indispensable si l’on veut vaincre le terrorisme.

Devant moi, mes clientes se sont libérées. Elles ont laissé couler leurs larmes, elles m’ont pris la main, et au moment de nous séparer, elles m’ont étreinte et embrassée, autant de gestes qu’il ne leur serait jamais venu à l’idée d’avoir envers l’un de mes confrères masculins. Cela ne peut qu’aider, j’aurais du mal à le nier ou à ne pas m’en rendre compte. Sous la robe de l’avocat, on reste ce qu’on est et je suis une femme.